Digitalisation et gamification de l'orientation

Problème identifié

Les jeunes issus de milieux défavorisés ne bénéficient pas des mêmes chances que leurs pairs mieux lotis pour construire activement leur orientation professionnelle et continuent à être davantage touchés par un phénomène de décrochage scolaire aboutissant à d’importants risques de précarisation voire d’exclusion sur le marché du travail.

Les jeunes dits « NEET », touchés de plein fouet par ce phénomène, sont approximativement 2 millions en France et 150 000 de plus chaque année.

Les chercheurs qui l’ont étudié ont mis en évidence qu’il était causé par plusieurs facteurs dominants dont le système actuel d’orientation, façonné pour une partie seulement des élèves, généralement en situation de réussite scolaire et n’ayant pas de difficulté à évoluer dans ce milieu. Pour les autres, l’orientation est « subie » plutôt que « choisie » et elle induit du désengagement (47% d’abandon avant diplôme sur les 3 années de licence, idem en CAP/BEP), des sorties précoces sans qualification et in fine une entrée sur le marché du travail caractérisée par le chômage et la précarité.

Notre terrain d’enquête exploratoire reflétait bien cette réalité : 85 % des 200 jeunes interviewés n’avaient soit aucun diplôme, soit un diplôme (CAP/BEP/Bac pro) qu’ils ne souhaitaient pas valoriser faute de vouloir exercer le métier préparé[1].

[1] L’application Diagoriente se base sur un travail approfondi d’enquête exploratoire auprès de 200 jeunes inscrits en Garantie Jeune dans les Missions locales de Sin-Le-Noble, Tourcoing et Lille.

Fondements théoriques

Pour que l’orientation active supplante l’orientation subie, ID6 propose une vision de l’orientation fondée sur une déclinaison du sociocognitivisme de Bandura : la théorie socio-cognitive de l’orientation scolaire et professionnelle (TSCOSP) préconise de développer l’agentivité personnelle dans le domaine des choix professionnels (Lent, 2008). Proche de l’empowerment, cette démarche traduit la prise de conscience, institutionnelle, de l’aspiration croissante des individus à être en capacité de produire et de réguler les événements touchant à leur vie (Bernstein et al., 1994 ; Breton, 1994 ; Gutiérrez, 1994).

De la TSCOSP, nous retenons des pistes très concrètes d’intervention axées sur ses notions clés : sentiment d’efficacité personnelle, attentes de résultats, niveau des buts fixés à lui-même par l’individu.

Ses auteurs démontrent ainsi que toute personne fonde son sentiment d’efficacité personnelle et ses attentes de résultats, d’une part, sur sa perception de ses propres capacités, et d’autre part, sur son niveau de réussite atteint et sur les résultats qu’elle a obtenus dans le passé en conditions similaires. Plus le sentiment d’efficacité personnelle et les attentes de résultats positifs sont forts, plus les buts que l’individu se fixe sont ambitieux et encouragent eux-mêmes sa mobilisation ainsi que ses efforts pour atteindre le niveau de performance visé. Comme la théorie sociale cognitive générale, la TSCOSP postule l’existence d’une boucle de rétroaction qui met en relation les niveaux de performance atteints et les comportements futurs (Bandura, 1986). Les sentiments d’efficacité personnelle et les attentes de résultats qui émergent nourrissent à leur tour des intérêts et des buts éducatifs et professionnels qui tendent progressivement à se préciser et à se cristalliser à mesure que l’individu accroît ses connaissances relatives au soi (i.e., la connaissance de ses capacités personnelles, de ses intérêts, de ses valeurs) et ses connaissances des métiers (i.e., les capacités requises, les renforçateurs offerts). C’est ainsi que les aspirations professionnelles tendent à devenir progressivement de plus en plus stables et réalistes – c’est-à-dire congruentes avec les intérêts personnels, les capacités et les valeurs.

Apports de la gamification

Le jeu vidéo a constitué ici un support singulièrement facilitant pour partager une approche sensible et incarnée de la compétence.

Grâce à lui, nous avons pu faire passer les deux principaux messages et composantes du concept de compétence, à savoir :

  1. Le fait que la compétence repose sur la combinaison de différentes ressources mobilisées, associées et intégrées par l’individu : ressources internes (connaissances, capacités, habiletés, expérience) et externes (autres personnes, outils, documents, etc.) ;

  2. Le fait que cette mobilisation de ressources est spécifique à une situation donnée (« compétence située ») et qu’elle se donne pour but d’agir.

Le game design le plus adapté à véhiculer ce double message consistait en un exercice de simulation d’activité professionnelle bien connue du grand public. Les jeunes des garanties jeunes mobilisés dans l’expérimentation nous ont beaucoup aidés à choisir la situation professionnelle la plus familière et commune à l’appréhension de tous : celle d’un équipier de restauration rapide, chargé de préparer et d’encaisser les commandes des clients. Ils ont également choisi la forme et le gameplay du jeu, inspiré du très célèbre Cooking Fever©. Ce détour par le jeu vidéo a été d’autant plus efficace pour rendre accessible la notion de compétences qu’il s’adressait à des jeunes parfois très jeunes (16 ans, ayant décroché en 3ème) et/ou très peu armés en termes de distanciation et d’abstraction réflexive.

Séduites par ce résultat, la plupart des partenaires Missions Locales engagées dans l’expérimentation de DIAGORIENTE ont même substitué notre outil à celui proposé par la Boîte à Outils nationale des garanties jeunes, à savoir la méthode québécoise des « compétences fortes » qu’ils utilisaient dans l’optique d’identifier les compétences des jeunes.

Apports et particularités du format numérique

La digitalisation de l'accompagnement présente l'avantage de faire gagner un temps considérable aux professionnels concernés. En revanche, ces solutions présentent également l'inconvénient de dégrader l'accompagnement, en offrant aux jeunes des perspectives stéréotypées et/ou peu variées. Le gain en temporel perd alors rapidement son intérêt pour le professionnel qui doit augmenter son temps d'accompagnement consacré au conseil et à la pédagogie. L'originalité réside justement dans la place et le rôle qu’elle confère au jeune utilisateur dans une démarche digitalisée : aux commandes de l’algorithme. C’est à lui que revient le choix des paramètres qu’il souhaite ou non activer pour se voir proposer des pistes-métiers. Contrairement aux autres produits présents sur le marché (et payants) qui ont une approche diagnostique descendante de l’orientation, Diagoriente a été designée dans le but de favoriser cette posture actorielle autonome. Les professionnels peuvent en outre capitaliser sur le temps d'accompagnement gagné pour donner plus d'attention aux jeunes durant les premières phases d'amorçage du projet professionnel (recherche d'immersion, contact des entreprises) souvent les plus critiques.

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